Valeur …. agrée ?

A travers cette rubrique, nous abordons le domaine de la plaisance à travers l’œil du juridique. C’est Henri Jeannin, avocat au barreau de Paris, qui nous parle ce mois-ci de la valeur agréée. Un article qui vous fera peut-être relire d’une manière plus attentive votre contrat d’assurance !

Lors de l’achat d’un bateau neuf, le plaisancier qui fait appel à un courtier d’assurance ou un agent spécialisé se voit habituellement proposer de souscrire un contrat d’assurance comportant une clause de valeur agréée. Il est rare que les plaisanciers soient pleinement informés de la nature de ces clauses et de leur portée véritable. Il leur est souvent indiqué de façon un peu rapide, qu’en cas de sinistre majeur, vol, perte totale à la suite d’un naufrage, d’un échouement ou d’un incendie, ils bénéficieront d’une indemnisation automatique à hauteur de la valeur « agréée », c’est-à-dire de la valeur fixée d’un commun accord avec la compagnie d’assurance à la souscription qui correspond généralement au prix d’achat pour un bateau de série, ou à la valeur fixée à dire d’expert pour des navires construits « sur mesure » par l’intermédiaire d’un architecte naval, ou des bateaux historiques du type vieux gréement. Ces clauses prévoient généralement que pendant une durée de temps limitée (cinq ans en général, parfois renouvelable) la valeur assurée demeurera la même sans possibilité de contestation de la part de l’assureur. Le courtier ou l’agent explique au plaisancier qu’à défaut de cette clause, c’est le système de l’indemnisation en « valeur vénale » qui prévaut. Ce qui signifie qu’en cas d’incident majeur, le montant de l’indemnisation sera déterminé par un expert d’assurance sur la base de la valeur du bateau au jour de la survenance du sinistre.

Une décote rapide

Un bateau de série (comme une voiture) subissant une décote assez rapide, le plaisancier en sera pour ses frais s’il veut racheter le même bateau ou un bateau équivalent. L’inclusion d’une clause de valeur agréée dans le contrat d’assurance plaisance, paraît donc assez alléchante notamment lorsqu’on achète son bateau en LOA (location avec option d’achat, variété de crédit-bail). La réalité est pourtant moins réjouissante, quand le bateau est victime d’une fortune de mer. Le hic vient de ce que l’assurance de la navigation de plaisance a été rattachée pour l’essentiel au régime de l’assurance terrestre. Le droit de l’assurance terrestre est très avantageux et enferme la liberté contractuelle de l’assureur dans un corset légal rigide. Le plaisancier, considéré comme un consommateur lambda, est bien protégé par un formalisme strict et toute une série de règles impératives des éventuels abus auxquels le déséquilibre économique patent entre les parties pourrait conduire. En revanche le pêcheur, l’armateur et le batelier sont tenus pour des professionnels plus aptes à négocier leur contrat à égalité avec les assureurs et ne bénéficient pas d’un régime juridique aussi favorable. Cependant sur un seul point, l’assurance maritime proprement dite, dont les dispositions figurent aux articles L 171-1 et suivants du Code des Assurances, est plus avantageuse que l’assurance plaisance. Ainsi en matière d’assurance corps (c’est-à-dire des dommages au navire), le Code énonce à son article L173-6 que : « Lorsque la valeur assurée du navire est une valeur agréée, les parties s’interdisent réciproquement toute autre estimation, réserve faite des dispositions des articles L. 172-6 et L. 172-26. »

L’histoire du droit maritime

Il n’est pas nécessaire de s’appesantir sur les causes de ce particularisme qui provient de l’histoire du droit maritime et des fluctuations considérables du cours des navires de commerce d’occasion de nos jours. A première vue, il semblerait que les clauses de valeur agréée figurant dans les contrats d’assurance plaisance ne soient pas si différentes. Il n’en est pourtant rien. Ces clauses sont toutes rédigées à quelques mots près en ces termes : « Par dérogation aux Conditions Générales, il est convenu que les capitaux assurés en cas de Perte Totale ou Vol Total correspondent à une valeur fixée d’un commun accord entre l’assureur et l’assuré. Il s’agit d’une valeur agréée. En cas de sinistre, celte valeur agréée ne constitue qu’une présomption de la valeur que l’assureur a agréée de votre bateau lors de la souscription du contrat. L’assureur peut contester cette valeur s’il s’avère qu’à la souscription du contrat, elle était supérieure à la valeur vénale du bateau assuré mais c’est à lui qu’il revient d’en apporter la preuve. Au-delà de la cinquième année de garantie, la présente clause cessera automatiquement ses effets. » Lorsque son bateau coule ou brûle quelques années après la souscription du contrat, le plaisancier pense benoîtement que sa compagnie d’assurance va lui régler le montant de la valeur agréée. Dans la plupart des cas, il n’en est malheureusement pas ainsi. L’assureur ne manque pas de lui rappeler aussitôt les termes de la clause qui stipulent que la valeur agréée ne constitue qu’une simple présomption. Il fait ensuite établir par un ou deux experts une estimation du prix du bateau au jour du sinistre ce qui est relativement aisé lorsqu’il s’agit d’un bateau de série. C’est un peu plus compliqué pour un bateau neuf « original » construit avec l’aide d’un architecte, qui se déprécie pourtant inéluctablement. Mais les compagnies ont des réseaux d’experts très pointus qui peuvent les aider dans cette tâche.

Raison à l’assureur

Lorsque l’assuré insatisfait saisit la justice, la jurisprudence donne quasi-systématiquement raison à l’assureur. Les tribunaux se fondent en effet sur une disposition impérative du Code des Assurances relative à l’assurance dommages (dont l’assurance corps n’est qu’une variété). L’article L121- 1 énonce ainsi que « l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le montant de la chose assurée au moment du sinistre ». La clause de valeur agréée est ainsi transformée en une simple convention portant sur la charge de la preuve. Le 24 février 2004, la Cour de Cassation avait donné raison à un assuré contre sa compagnie, mais uniquement parce que l’assureur n’avait pas été capable de rapporter « la preuve qu’à la date de sa destruction le voilier avait une valeur inférieure à la valeur agréée. » L’assureur avait manifestement quelque peu négligé la gestion de son dossier… Cette décision, souvent mal interprétée, n’est aucunement en contradiction avec les nombreux arrêts rendus dans ce domaine par les Cours d’Appel qui font prévaloir les évaluations du bateau au jour du sinistre faites par les experts d’assurance sur le montant de la valeur agréée. Bref, la clause de valeur agréée est loin d’être la solution miracle qui permettrait de se payer à nouveau un bateau neuf pendant les cinq premières années d’acquisition, en cas de fortune de mer. Certains s’insurgent contre la rigueur des Tribunaux et soulignent qu’en matière immobilière, il existe des clauses de reconstruction en valeur à neuf qui ne sont pas invalidées par les juges. Cette comparaison n’est pas convaincante. Ces clauses de valeur à neuf sont spécifiques à l’assurance incendie (ou l’assurance des catastrophes naturelles) et prévues par le Code des Assurances. Elles fonctionnent de manière très particulière : un expert fixe l’indemnité en fonction du coût de la reconstruction, et calcule la vétusté du bien. L’indemnité correspondant à la valeur du bâtiment, vétusté déduite, sera versée dans les délais habituels à l’assuré, en revanche le solde (correspondant à la vétusté) n’est réglé qu’au bout de deux ans sur justification de la reconstruction. Il y a donc un contrôle strict de l’utilisation de l’indemnité d’assurance pour éviter toute fraude. En matière de plaisance, la situation est bien différente et ce genre de clause n’est pas envisageable sans un changement législatif qui n’est pas à l’ordre du jour. On conçoit que pour les propriétaires de gros yachts, la situation ne soit guère satisfaisante, surtout lorsqu’ils sont affrétés à des fins commerciales, ce qui les éloignent du statut de la plaisance pure.

En conclusion

En conclusion il convient donc de ne pas être dupe de la portée et de l’utilité de la clause de valeur agréée que certains agents tenteront de faire miroiter comme une aubaine ! Elle est surtout intéressante la première année qui suit l’achat, et également lorsqu’on veut assurer des bateaux anciens, dont il sera difficile (un peu comme en matière d’œuvre d’art) d’invoquer la dépréciation…

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