Pourquoi naviguer en hiver ?
Comme il neige aujourd’hui voici un excellent article trouvé sur hisse et ho
Tous les marseillais vous le diront, pour avoir envie de naviguer en hiver il faut être « Fada »
Qu’est ce qui peut bien pousser une famille de gardois habituée à la douceur du climat languedocien à prendre le large en une période ou la quasi-totalité des bateaux de plaisance sont hivernés en attendant la belle saison.
L’hiver en bateau est synonyme de très forte humidité. Les vêtements que l’on n’arrive pas à faire sécher, pire encore, les serviettes de toilettes qui restent indéfiniment moites et dont le contact vous glace les os lorsque vous sortez d’une très brève douche le plus souvent tiède pour ne pas dire froide.
Mais ce n’est hélas pas tout.
Tout bon navigateur possède à l’intérieur de son carré un instrument de masochiste. Vous avez deviné, il s’agit du thermomètre. Non pas celui dont l’utilisation vous rappelle un célèbre supplice chinois, non je veux parler de celui qui le plus souvent accroché fièrement au mur d’un salon comme le plus beau des trophées, vous procure un sourire niais en remerciement d’un confort chèrement acquis.
Dans un bateau pas question de sourire à la vue de cet instrument cauchemardesque.
En été, il est le témoin privilégié de vos coups de soleil et de votre choix d’avoir décidé de passer vos courtes vacances dans un sauna ambulant dont le bouton stop a été oublié par le fabricant. Il faut même souvent essayer de lui trouver une cachette abritée sous peine de le voir rendre l’âme voir son mercure dans le pire des cas.
En hiver c’est encore pire. Le même mercure ou les cristaux liquides, pour les plus riches, restent désespérément au dessous du supportable. Et si par malheur la folie vous a pris de faire l’acquisition d’un modèle vous indiquant également le taux d’humidité : Alors de longues heures de stress et les gouttes sur votre front vont encore ajouter au taux d’humidité quasiment constant pour vous faire regretter finalement de ne pas avoir choisi un séjour plus au sec dans les rizières vietnamiennes.
Mais une fois de plus je m’égare. Revenons à l’essentiel de notre tour d’horizon.
Naviguer en hiver c’est aussi réserver à vos extrémités les plus sollicitées un traitement que la plus sadique des manucures n’a jamais imaginé.
Bien loin du plaisir de votre enfance lorsque vous caressiez en douceur l’ivoire d’un Pleyel de la grande époque, le traitement qui leur est réservé est maintenant tout autre :
-Les cordages rêches ou détrempés selon les cas que l’on attrape avec rage pour ne pas les voir filer entre vos phalanges tétanisées.
-Le sel qui s’insinue partout dans le bateau, recouvre votre peau et fini pas faire ressembler vos fragiles petits doigts à des vieilles patates aussi flétries qu’un derrière de centenaire.
Et pour clore le tout, les mille et une occasions de jouer le rôle de la Knackie écrasée entre deux tranches de pains rebaptisées pour l’occasion, winches, taquets ou guindeau et autres pinces doigts.
Pour mieux attiser encore votre jalousie, je vais tenter de vous décrire une journée de Décembre en pleine mer. Et si après ça vous n’annulez pas votre prochain séjour à Courchevel pour vous ruer chez Moorings ou Kiriakoulis pour avoir le choix de l’intégralité de la flotte de location, c’est vraiment que je n’ai pas réussi à vous mettre en appétit.
Vers deux heures du matin, alors que vous venez péniblement d’arriver à vous réchauffer dans votre couette aussi douillette qu’un buvard revenant du marathon de New York, on vient vous rappeler avec insistance qu’il est l’heure de prendre votre quart.
Vous enfilez péniblement votre polaire et votre veste de quart, puis vient l’épreuve encore plus difficile qui consiste à enfiler vos bottes de mer sans crier d’horreur en imaginant quels sont ces poulpes farceurs qui viennent d’y trouver refuge.
Vous vous retrouvez dans le carré et après vous être frotté les yeux à plusieurs reprises, vous constatez que ce n’est pas votre vue qui vous joue des tours, mais bel et bien une épaisse buée qui recouvre les hublots et vous empêche pour l’instant d’apercevoir la fine pluie qui détrempe le siège de barre.
Un rapide coup d’œil masochiste sur le thermomètre dont tous les avertisseurs sont au rouge depuis belle lurette et vous voila propulsé dans la douceur envoûtante d’une nuit de Décembre.
Vous commencez à tapoter, non pas pour envoyer un email, mais simplement pour vous persuader que ces ridicules petits mouvements sur la barre à roue vont arriver à vous réchauffer le bout des doigts. Vos espoirs vont être bien vite déçus.
Mais le meilleur reste à venir. Après avoir effectué, en compagnie de votre inséparable amie la pluie, une bonne dizaine de réglage de grand voile et génois dans cette presque « pétole » qui vient de transformer votre fier lévrier en grotesque limace, vous avez bien droit à une juste récompense : Le petit déjeuner.
Là vous avez le choix entre finir le pain de la veille qu’il va falloir tenter de réanimer sur le grill et que bien évidement vous allez carboniser ou, moins méritoire, vous vous ruez sur le superbe paquet de « miettes de craquottes » bien caché derrière les innombrables paquets de pâtes (en bateau il vaut mieux aimer les pâtes)
Vous commencez juste à tartiner quelques copeaux de beurre que vous avez péniblement réussi à extirper du petit bloc de béton Charentais, qu’une vague scélérate envoi votre tartine au fin fond du carré. Maintenant à genoux pour récupérer votre précieux sésame, vous priez Allah de la retrouver entière et votre vœux est miraculeusement exhaussé : Vous voila maintenant propriétaire d’une magnifique tartine de beurre salée, mais malheureusement pas de Guérande. Il ne vous reste plus qu’à tenter de racler le pot de Nutella quasiment vide et vous aurez réussi et de ces merveilleux petits déjeuners que seuls les marins peuvent connaître.
Plus tard dans la matinée vous allez exorciser le taux d’humidité en vous précipitant sous la douche, mais à peine êtes vous savonné de la tête au pieds que la mémoire vous revient, les moteurs n’ont pas tournés de la nuit et le dernier décilitre d’eau chaude s’évanouie dans le pommeau de la douche, vous laissant dans un grand moment de solitude, affronter seul la dure épreuve du rinçage à l’eau glacée.
C’est sûrement un marin qui a trouvé le nom du « gel douche ».
Pourquoi pas Moitessier avec un nom aussi prédestiné ……….
Vous attrapez dans un fol espoir de confort votre serviette de bain pour une deuxième désillusion. Le buvard n’a bien sur pas eu l’occasion de sécher. La délivrance viendra du plaisir suprême d’enfiler un nouveau tee shirt.
Vers midi vous avez activé le sauna dans le carré en égouttant, gros dégouttant, votre énorme spaghetti au dessus de l’évier.
Mais oui, votre arrivée tardive devant la marmite et cette interminable recherche dans le brouillard Londonien de la cuillère à spaghettis, vous consacre roi de la cuisson monobloc et du spaghetti n° 500. Il va falloir maintenant sérieusement improviser pour espérer servir tous les heureux participant à cette funeste Barillade. Puis vint l’illumination divine.
Et dans un geste digne de la plus belle élévation : Il prit le vin, le spaghetti et le rompit.
Tous les convives ayant communié et partagé avec vous votre passion, de la cuisine, il ne vous reste plus qu’un dernier chemin de croix à parcourir avant la sieste salvatrice : La vaisselle à l’eau froide. Vos apôtres sont magnanimes et ils feront leur possible pour tenter de sécher tant bien que mal vos superbes assiettes en Arcopal.
Mais la navigation en hiver réserve aussi de subtils petits plaisirs.
Quelle joie d’arriver dans une citée balnéaire ou la majorité des magasins et des restaurants ont baissé leurs rideaux jusqu’à la prochaine saison. Quelle joie d’imaginer pouvoir garder bien au chaud dans son étui collant votre magnifique carte bleu.
Quelle joie d’arriver dans un port ou personne ne vous attend pour vous hurler dans la VHF que toutes les places sont prises.
Quelle joie de pouvoir mouiller dans une crique sans avoir à supporter la techno du voisin ou réfléchir sur les contraintes de l’évitement en bande désorganisées.
Quelle joie de pouvoir faire connaissance et se lier d’amitié avec les véritables commerçants, ceux qui travaillent douze mois sur douze !!!!
Quelle joie de rencontrer d’autres « Fada » de la mer, venus d’horizons diverses et qu’un langage universel rapproche.
Quelle joie de pouvoir visiter à son rythme sans faire la chenille et la danse du canard devant une célèbre statue grecque aussi flashante que flashée.
Et enfin quelle joie lorsqu’une journée de soleil vous fait croire à un printemps éternel.
C’est pour toutes ces joies éphémères et ces contraintes sans cesse renouvelées que nous avons fait notre choix : celui de naviguer aussi en hiver.